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Guyatt et McMaster : l’autonomie avant les preuves et les risques

Dernière mise à jour : 16 sept.

Malgré la faible certitude des données et les inconnues à long terme de décisions qui engagent toute une vie, la ligne Guyatt–McMaster met l’autonomie au premier plan et qualifie ces soins de « médicalement nécessaires », balayant les 3 autres principes bioéthiques (bienfaisance, non-malfaisance et justice).

communiqué de McMaster, sur les revues systématiques en partenariat avec SEGM, dysphorie de genre transition mineurs

L’été 2025 a vu éclater une polémique inhabituelle dans le monde de la médecine fondée sur les preuves (Evidence-Based Medicine EBM). Ce qui devait rester un exercice académique autour de revues systématiques est devenu un conflit public mêlant science, militantisme et réputation institutionnelle, alors même que la légitimité de l’EBM repose en partie sur l’indépendance des universitaires et leur détachement de l’action politique.

 

Au centre de cette polémique

  • Gordon Guyatt ; « père fondateur » de l’EBM et co-fondateur du système GRADE,

  • Son université (McMaster, Canada) considérée comme un bastion de rigueur scientifique.


Trois revues systématiques des preuves, commandées par la Society for Evidence-Based Gender Medicine (SEGM) en partenariat avec l’université, et publiées fin 2024-début 2025 : hormones sexuelles croisées, bloqueurs de puberté, mastectomies. Les 3 revues systématiques concluent que la certitude des preuves était « très faible », ce qui signifie que « l’effet réel est probablement très différent de l’estimation obtenue » (GRADE Handbook). À noter que ce type de partenariat n’a rien d’inhabituel.

Gordon Guyatt a co-signé ces revues.


Le communiqué de l’université McMaster co-signé par Guyatt

À la suite de très fortes pressions militantes (campagnes de dénigrement de la SEGM, revues qualifiées de « pseudoscience ») et institutionnelles (McMaster craignant pour sa réputation et ses financements, jeunes chercheurs « traumatisés » dissuadés de s’associer au projet, retraits de co-auteurs), cinq des huit auteurs - dont  Guyatt et la responsable des travaux, Romina Brignardello-Petersen, mais non l’auteure principale - ont cédé en publiant, le 14 août 2025,  un communiqué édifiant sur le site de l’université.


Le communiqué suit une séquence qui rappelle les pratiques historiques de confession forcée :

  • Ils désavouent la (SEGM), qu’ils décrivent comme des « chercheurs non trans et cisgenres » dont ils n’accepteront plus de financement. [Reconnaissance d’une faute passée]

  • Ils disent avoir fait un don personnel à Egale Canada « pour son travail juridique et judiciaire, soulignant ses efforts en matière de litiges visant à prévenir le refus de soins médicalement nécessaires aux jeunes de diverses identités de genre » [Acte de repentir concret]

  • Tout en reconnaissant la faible certitude des traitements, ils disent craindre que ces revues soient mal utilisées. [Dénonciation d’un usage déviationniste]

  • Ils affirment qu’« interdire la prestation de soins d'affirmation de genre et limiter les options de prise en charge médicale sur la base de preuves de faible certitude (...) est inadmissible »  [Affirmation de loyauté et de conformité morale] 

  • Ils ajoutent que, « conformément aux principes de la prise de décision fondée sur des preuves, les cliniciens doivent toujours avoir un profond respect de l’autonomie des patients (...) Ce respect est particulièrement important lorsque la certitude des preuves est faible, voire très faibl». [Ce principe figure bien dans l’approche GRADE, mais il pose problème lorsqu’il s’agit de mineurs, dont l’autonomie reste discutable en raison de limites développementales et de l’influence d’un environnement saturé de contenus militants, ce qui soulève de sérieuses questions sur leur capacité de consentement à de tels traitements.]


Une chronologie rapide

  • 2021 : SEGM commande et finance à McMaster cinq revues systématiques sur les interventions médicales liées à la transition des mineurs. Le projet était dirigé par la Dre Romina Brignardello-Petersen.

  • 2023 : lors de la conférence de SEGM à New York, Guyatt déclare clairement qu’il n’utiliserait jamais le terme « médicalement nécessaire » pour qualifier un traitement.

  • Décembre 2023 : le Southern Poverty Law Center (SPLC) publie un rapport (nommé CAPTAIN), associant SEGM à de la pseudoscience anti-LGBTQ. Le rapport a tenté de relier la SEGM à des financements proches d’organisations conservatrices anti-LGBT, mais cette accusation était trompeuse.

  • Juin 2024 : SEGM est officiellement classé par le SPLC comme « groupe haineux », une étiquette très influente aux États-Unis, qui entraîne une forte stigmatisation médiatique et institutionnelle : cela a catalysé le soulèvement militant contre l'équipe de Guyatt.

  • Février à avril 2025 : Des e-mails internes révèlent qu’en février 2025, Guyatt et Brignardello-Petersen avaient envisagé d’ajouter un paragraphe pro-autonomie aux revues, puis y ont renoncé face à l’opposition de co-auteurs. En mars, ils ont envoyé aux éditeurs une lettre proche du communiqué du 14 août. En avril, ils se sont retirés, avec un collègue, d’une revue systématique sur la transition sociale, laissant cette revue à l’arrêt, tout comme celle prévue sur sur le binding (compression de la poitrine pour l’aplatir) et le tucking (dissimulation du pénis et des testicules par compression).

  • 12 juillet 2025 : un éditorial dans le Hamilton Spectator accuse McMaster d’avoir accepté des fonds d’un « hate group » et de publier de la pseudoscience.

  • 14 août 2025 : communiqué officiel de McMaster.

  • 9 septembre 2025 : publication d’une interview de Guyatt par Stella O’Malley (Genspect, à gauche) et la journaliste Mia Hughes (à droite). À 58 min 30, Hughes lui fait remarquer que la déclaration signée le 14 août mentionnait explicitement des soins « médicalement nécessaires ». Guyatt nie d’abord, avant d’admettre qu’il avait signé en lisant son propre paragraphe, sans lire attentivement ce passage. Il explique clairement être contre cette affirmation.

    Mia Hughes : Quelqu’un a récemment dit que le simple fait que vous ayez signé cette déclaration qui dit, que c’est “médicalement nécessaire “   Gordon Guyatt (coupant Mia Huges) : Non ! Comme c’est ridicule. Nous n’avons jamais rien dit de tel. Je vous ai dit que je n’utiliserais jamais le terme médicalement nécessaire. Le fait que vous veniez de dire que nous avons dit que c’était médicalement nécessaire est complètement faux.

(source : Jesse Singal, Benjamin Ryan (Substack, UnHerd))


Concernant les pressions subies par Guyatt et son équipe

Derrière le communiqué du 14 août 2025 se cache une longue campagne de diffamation menée contre l'organisation, qui a culminé en juin 2024 avec la décision du Southern Poverty Law Center (SPLC) de qualifier le SEGM de « groupe haineux » en 2024. Cette allégation est catégoriquement rejetée par la SEGM, qui rappelle « affirmer le droit de toutes les personnes à vivre libres de tout harcèlement et de toute discrimination », souligne que le SPLC n’a apporté aucune preuve de « haine » ni de « pseudoscience », que plusieurs de ses membres sont eux-mêmes LGBTQ, et qu’elle n’a « jamais soutenu d’interdictions des soins médicaux liés au genre pour les jeunes ».

 

Une partie de cette campagne a pris la forme d’un compte Instagram anonyme, @segm_x_mcmaster, créé en juin 2025. Le compte cherche à infliger le plus de dommages réputationnels possible aux co-auteurs des 3 revues systématiques publiées :


La pression ne venait pas que de l’extérieur. Plusieurs sources internes ont confirmé à Singal et à Ryan que l’administration de McMaster craignait de voir son image ternie et ses financements fédéraux menacés. Des réunions ont eu lieu au sein du département de méthodes de recherche en santé, où des jeunes chercheurs ont été explicitement dissuadés de travailler avec SEGM : on leur aurait dit que cela pouvait « ruiner leur carrière ». Guyatt lui-même a reconnu dans son entretien avec Singal que l’université « se sentait vulnérable » et craignait que la publication de nouvelles revues n’aggrave encore la controverse.

 

La campagne a pris une dimension publique le 12 juillet 2025, lorsqu’un groupe de médecins et d’universitaires, dont un de McMaster, a publié un éditorial  dans le Hamilton Spectator accusant les revues de pseudoscience, sans critique méthodologique précise, mais en s’appuyant sur la culpabilité par association avec le SEGM. Ils exigent que McMaster se désolidarise de SEGM, affirmant que « faire moins, c’est cautionner l’extermination de celles et ceux qui ont bâti la Pride »

 

Type de pressions subies, décrites dans l’interview (24 août 2025) de Guyatt par Singal

Dans son interview (24 août 2025) avec Singal, Guyatt décrit l’ampleur de ces pressions : campagnes de discrédit dans la presse qualifiant les revues de « pseudoscience », crainte de perdre la confiance du public du fait du financement par SEGM, retrait de plusieurs co-auteurs traumatisés par la controverse, et inquiétude de l’université McMaster de voir son image associée à une position « anti-trans ».


Crainte de discrédit lié à SEGM

Guyatt : Parce que nous sommes discrédités par notre association avec la SEGM.… être discrédités, voir notre travail potentiellement discrédité à cause d’une association avec la SEGM aux yeux des personnes qui doivent prendre cette décision est très problématique.

Attaques médiatiques

Guyatt : Quand les gens qui sont en colère contre nous pour nous être associés à la SEGM écrivent dans le journal : « Ces revues sont de la pseudoscience… » Singal : Oui, tu parles du Hamilton Spectator.

Pression sur la crédibilité selon la source de financement

Guyatt : Leurs efforts pour nous discréditer auraient été bien moins puissants [si nous n’avions pas été liés à la SEGM].… on se fait goudronner et plumer de la même manière en participant avec la SEGM.

Intervention de l’université

Guyatt : L’université est… se sent dans une position vulnérable. Ils sont tous bouleversés par la controverse autour du fait que McMaster soit étiquetée comme très anti-trans… Et ils disent : « Oh, mince, quand cette autre revue sortira, ça va être un gros problème. »

Retrait de noms sous pression institutionnelle et traumatisme des jeunes chercheurs

Alors je dis : « D’accord, nous retirerons nos noms »… ensuite, quand nous avons dit que nous retirerions nos noms, tout le monde [les co-auteurs] a dit : « Nous retirerons aussi nos noms. » … Tous les jeunes chercheurs disent : « Non, non, non, non, non… nous sommes trop traumatisés par toute cette histoire. Nous restons en dehors. »

Le débat de fond : autonomie et bioéthique

Le désaccord entre Gordon Guyatt et la SEGM porte sur la réponse appropriée face à des preuves faibles.

Les trois piliers de l’EBM et la place de l’autonomie

Dans la médecine fondée sur les preuves (EBM), trois piliers doivent être combinés :

  • les meilleures données disponibles,

  • l’expertise clinique

  • les valeurs/préférences des patients.

 

Pour Guyatt, même lorsque les preuves sont de faible certitude (entraînant donc des recommandations « faibles »), il est inadmissible d’interdire des traitements. La priorité doit être donnée à la décision partagée (shared decision making), comme le recommande GRADE : « Lorsque les recommandations sont faibles, les soignants doivent consacrer plus de temps à la décision partagée, en veillant à expliquer clairement et de manière complète au patient les bénéfices et les risques potentiels. » Cette approche traduit une priorité accordée au principe bioéthique d’autonomie.

 

Dans son interview avec Jesse Singal (24 août), Guyatt insiste pour qu’ « une équipe multidisciplinaire s’assure que le patient, et les personnes qui le soutiennent, comprennent la situation, comprennent les limites des preuves, aient la maturité » (notamment concernant les impacts sur la fertilité). Il affirme qu’il est plausible que certains jeunes de 14 ans y parviennent. Il a toutefois précisé que l’autonomie ne saurait être absolue : il cite l’exemple de patients âgés souhaitant vivre seuls malgré un danger manifeste, cas où il juge légitime de refuser de se plier à leur volonté : « aucun médecin n’est obligé de fournir un soin dont il est convaincu qu’il n’est pas dans l’intérêt du patient ».

Les limites du consentement des mineurs

Cependant, plusieurs spécialistes de la WPATH reconnaissent qu’un adolescent ne peut réellement mesurer des conséquences comme la perte de fertilité, car cela dépasse ses capacités développementales (Workshop de la WPATH : évolution de l’identité, 6 mai 2022).


Ces constats rejoignent l’analyse de la Haute Cour d’Angleterre, qui estimait en 2020 qu’il est « hautement improbable » qu’un enfant de 13 ans ou moins puisse consentir aux bloqueurs de puberté de manière éclairée, et « douteux » que des adolescents de 14 ou 15 ans puissent en évaluer les conséquences à long terme.

Une approche prudentialiste : SEGM et LGBT Courage

La SEGM, au contraire, insiste sur les 3 autres principes bioéthiques (bienfaisance, non-malfaisance et justice) pour affirmer que l’incertitude actuelle justifie de restreindre ou suspendre ces interventions. L’argument est repris avec force par LGB Courage Coalition, qui reproche au communiqué de McMaster d’avoir reconnu la faiblesse des preuves tout en concluant qu’elle « ne devrait pas limiter » la prescription de bloqueurs, d’hormones ou de chirurgies aux mineurs. Pour LGBT Courage, un tel raisonnement inverse la logique médicale : lorsqu’un traitement comporte des risques irréversibles (stérilité, dysfonction sexuelle, perte de tissus sains, ostéoporose), « un faible niveau de certitude constitue une raison de suspendre ou de limiter fortement l’usage, et non de continuer comme si le risque était négligeable ». Elle reproche à McMaster d’avoir érigé l’autonomie au-dessus de la bienfaisance, de la non-malfaisance et de la justice, rappelant que les mineurs, en tant que population vulnérable, devraient bénéficier d’une protection accrue.

 

Concernant le principe de la justice,  LGB Courage souligne aussi le caractère discriminatoire de ces interventions : elles touchent de manière disproportionnée les jeunes non conformes au genre et souvent homosexuels, qui auraient pu grandir en adultes LGB en bonne santé : «  La médicalisation rapide revient alors à priver ces jeunes de leur sexualité future et à effacer leur homosexualité sous couvert « d’affirmation », ce qu’elle dénonce comme « la continuité d’une longue histoire d’homophobie ».

Guyatt vs SEGM : accusations contestées, enjeux éthiques

Un désaccord politique s’y ajoute : Guyatt accuse SEGM de soutenir les interdictions légales, ce que l’organisation a toujours nié. Le seul élément ambigu est un amicus brief déposé dans l’affaire Skrmetti, aux US dans lequel SEGM n’a pas explicitement soutenu l’interdiction mais a présenté les incertitudes scientifiques d’une manière susceptible d’appuyer la décision du Tennessee. Le cofondateur Will Malone a toutefois précisé que « de nombreux cliniciens et chercheurs collaborant avec SEGM ne soutiennent pas les interdictions au niveau des États et souhaitent que l’establishment médical s’engage dans une autorégulation réfléchie, guidée par l’application éthique des preuves médicales actuellement disponibles. SEGM elle-même n’a pas pris position sur les restrictions étatiques ».  (Singal partie 1)

 

Guyatt, lui, reprochait à SEGM de ne pas affirmer clairement son attachement à l’autonomie et à l’accès aux soins, tandis que Zhenya Abbruzzese rappelait que « l’autonomie n’est pas la seule considération en santé publique. L’équilibre entre les bénéfices et les risques associés à un traitement donné est un autre facteur clé ». (Singal partie 1)


La SEGM (10 sept) rappelle qu’elle a été l’un des premiers groupes à réclamer des revues systématiques afin d’éclairer les décisions cliniques, qu’elle n’a jamais soutenu d’interdictions légales et qu’elle a « constamment dénoncé la politisation de ce sujet, en avertissant que si le domaine de la médecine de genre pédiatrique ne s’autorégule pas, les régulateurs interviendront inévitablement et imposeront des règles beaucoup moins nuancées que ce qui aurait pu être obtenu par une autorégulation ».


Conclusion

Pour les transactivistes, deux étapes ont été franchies :

  1. la mise en pause des revues restantes, suite au retrait de coauteurs principaux en avril (Singal, partie 1) ;

  2. une déclaration d’une figure d’autorité qui, tout en reconnaissant la faible certitude des preuves, insiste sur la possibilité de délivrer bloqueurs de puberté et hormones à tout jeune les demandant, au titre de « soins médicalement nécessaires » ; le tout en désavouant l’organisation (SEGM) qui a le plus efficacement mis en lumière l’incertitude des preuves entourant la transition médicale des mineurs

 

Selon Guyatt, cela a mis les militants « en extase » (Singal partie 2).

Mais, comme le souligne Mia Hugues, une concession peut encourager une escalade : une lettre ouverte  réclame désormais de nouvelles sanctions et surtout la rétractation des revues publiées. Y parviendront-ils ? C’est possible, si la logique réputationnelle l’emporte sur l’examen méthodologique.

 

Ce scénario fait écho à l’épisode de la WPATH : lors de l’élaboration des Standards of Care v8, l’organisation militante a exercé un contrôle éditorial sur les revues systématiques commandées (à Johns Hopkins), et a interrompu le processus lorsque les conclusions n’allaient pas dans le sens attendu. En interne, la direction expliquait que la recherche devait être « scrutée et examinée en profondeur pour s’assurer que la publication n’affecte pas négativement la prestation des soins ». (en savoir plus dans cette page).

 

Paradoxalement, en mettant en avant la crainte d’un « détournement de la recherche pour priver les jeunes de soins d’affirmation de genre », le communiqué de McMaster contribue surtout à instaurer l’effet inverse : subordonner la diffusion des travaux à leur impact politique anticipé plutôt qu’à leur qualité scientifique. Cette dérive est déjà perceptible depuis quelques années, comme par exemple la rétractation sous la pression de l’article de Bailey & Diaz (2023) : elle risque désormais de s’amplifier.


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