Des cliniciens débunkent le livre blanc de Yale à charge contre le Cass Review
- Magali Pignard
- 27 oct. 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 déc. 2024
Selon plusieurs cliniciens les plus éminents du Royaume-Uni (Cheung et al.), ce livre blanc (McNamara et al. juillet 2024) n'est pas un effort scientifique crédible, mais plutôt une tentative d'influencer les litiges aux États-Unis sous couvert de critique scientifique.
Le Cass Review est un examen indépendant des services de genre pour mineurs en Angleterre. Soumis au système de santé public anglais en avril 2024, il a évalué de manière systématique les preuves existantes en la matière en commandant une série de revues systématiques à l'université de York.
|
→ Résumé de Cheung et al.
« McNamara et al. déforment le rôle et le processus du Cass Review (en particulier, en comparant à tort la revue à l'élaboration de lignes directrices pour la pratique clinique), (...) tandis que les critiques méthodologiques spécifiques formulées à l'encontre des recherches qui ont soutenu l'examen (y compris le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) et les revues systématiques de l'Université York) sont largement infondées. Ces malentendus, fondés sur des analyses erronées (...) destinées à des fins juridiques (plutôt que cliniques), compromettent la mise en œuvre de réformes cruciales dans la prise en charge des jeunes présentant une de dysphorie de genre. »
→ Extraits
Rôle et caractéristiques des examens indépendants comme le Cass Review
« Les examens indépendants (...) examinent les causes profondes des problèmes et formulent des recommandations sur la manière de les résoudre (...) les recommandations peuvent aller de la restructuration de la prestation de services, à des changements dans le personnel clinique ou à la mise hors service de services ou d’interventions (...)
Les examens et les enquêtes présentent des caractéristiques clés qui les différencient des autres processus de réglementation des soins de santé. Le président nommé est une personnalité publique respectée, sans lien avec le domaine examiné. Le processus fait appel à de multiples intervenants divers dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux, mais c'est le président qui formule les recommandations finales. (...) Ces recommandations ne sont pas guidées par les règles de création des guides de pratique clinique, mais par des « termes de référence » spécifiques qui décrivent les objectifs, la portée et d'autres paramètres qui servent de document de base pour guider le processus. »
Contexte et objectif de ce « Livre blanc »
« Bien que McNamara et al. ressemble à une critique universitaire, son objectif principal est de soutenir un litige : Le jour même où l'article a été publié sur le site Web de The Integrity Project, hébergé par la faculté de droit de Yale, une version de celui-ci a été présentée comme preuve dans une affaire judiciaire américaine historique dans laquelle l'auteur principal a servi de témoin expert [affidavit dans l'affaire Boe v. Marshall dans l'Alabama].
L’objectif de l’Integrity Project est explicite : "Nous rédigeons des rapports qui résument les connaissances scientifiques évaluées par des pairs à l’intention d’un public juridique, et nous participons directement aux processus qui façonnent la politique de santé pour aider les agences publiques et les juges à évaluer les dossiers scientifiques." [présentation du Integrity Project) »
« Les arguments et le langage de McNamara et al. sont adaptés à la salle d’audience. Vu sous cet angle, la manière dont les auteurs mettent en avant leur autorité perçue, en mettant l’accent sur leurs « 86 années de soins collectifs à 4 800 jeunes transgenres » – ce qui serait un ajout inhabituel dans un contexte purement universitaire – prend plus de sens. De même, une approche d’argumentation « à la chaîne », où un argument est rendu plus convaincant non pas par la qualité mais par le volume des arguments (falsifiables ou non), est une approche qui convient bien aux contextes contentieux et accusatoires. »
[Ci-dessous, des arguments de McNamara à l’encontre du Cass Review, et les réponses de Cheung et al.]
Critiques de Mc Namara concernant les modalités de l'examen
« (...) En confondant un examen indépendant avec un guide de pratique clinique, les auteurs commettent une erreur de catégorie qui invalide de nombreux arguments de l'article et conduit aux affirmations erronées suivantes :
Méconnaissance de l’exigence clé de l’indépendance
(...) l’indépendance du président de l’évaluation par rapport au domaine médical spécifique est une mesure de protection essentielle pour éviter les préjugés inhérents au travail dans ce domaine et pour protéger les patients et le public de l’influence indue de ces intérêts particuliers dans le processus.
Confondre les contributeurs de l'étude avec les groupes de développement des lignes directrices
La divulgation de l'identité des personnes fournissant des preuves ou des contributions à l'examen n'est pas une attente des examens indépendants (...)
Incompréhension du rôle du cadre GRADE (Grading of Recommendations, Assessment, Development, and Evaluations) dans le processus de recommandation de l'examen.
McNamara et al. affirment que l'examen contrevient à la pratique standard dans les évaluations scientifiques en n'utilisant pas GRADE dans ses recommandations. (...) :
les revues systématiques du NICE [2020] ont (...) utilisé GRADE dans leur évaluation des preuves (qu'elles ont classées comme "très faible qualité") ; rien dans les revues systématiques supplémentaires de York n'a contesté cette conclusion.
GRADE est effectivement (à juste titre) absent des recommandations du Cass Review : mais cela est dû au fait que GRADE est un outil pour les guides de pratique clinique et n'est pas conçu pour les examens qui formulent des recommandations concernant des changements systémiques tels que la restructuration des services cliniques, l'établissement d'un programme de recherche, le développement de la main-d'œuvre et la formation. »
Critiques de McNamara concernant les revues systématiques (2024) commandées à l'université de York pour évaluer les preuves
[Cass aurait ignoré les études de Chen (2023) et Tordoff (2022)]
McNamara et al affirment que d'importantes études qui "démontrent" l'efficacité du traitement médical ont été ignorées par les revues de York. (...) En particulier Chen et al. (2023) et Tordoff et al. (2022).
Nous avons évalué ces deux études en utilisant l'outil Risk of Bias in Non-Randomised Studies - of Interventions (ROBINS-I), outil préféré de Noone et al et McNamara et al :
→ les deux études ont reçu une note ROBINS-I de "risque critique de biais" (voir l'annexe supplémentaire en ligne 3 ).
Notamment, l'échelle d'évaluation utilisée par York (l'échelle de Newcastle-Ottawa) est en fait plus indulgente que ROBINS-I. L'étude de Chen a signalé deux suicides parmi 315 jeunes traités aux hormones, ce qui soulève des inquiétudes supplémentaires en matière de sécurité. (...)
[La relation entre l'examen et l'équipe chargée de réaliser les RS ne respecterait pas les procédures standards, comme celles entre la WPATH et l'équipe chargée de réaliser les RS pour réviser leurs "normes de soins"]
« McNamara et al. ont également jeté le doute sur l’indépendance [de l’équipe de York], qu’ils comparent à la relation entre la WPATH et l’université Johns Hopkins (mandatée par la WPATH pour réaliser des revues systématiques), une relation considérée comme un exemple approprié de "séparation entre les évaluations des preuves et le panel d'experts". Des documents judiciaires récemment rendus publics dans le cadre d’un procès américain [Bo v. Marshall] suggèrent le contraire : la politique de WPATH stipulait que tous les manuscrits de JHU devaient être soumis à la contribution des membres du panel d’experts de WPATH, et que toutes les conclusions et les manuscrits finaux devaient être approuvés par la direction de WPATH. Après la mise en œuvre de la politique, une seule revue systématique répondait aux critères stricts de WPATH [Baker 2021], laissant une grande partie des preuves non publiées. Malgré ce processus d’approbation de publication long et intrusif, le WPATH a en outre exigé que toute recherche publiée par le JHU contienne une clause de non-responsabilité publique concernant l’indépendance de l’auteur.
[En savoir plus : La WPATH a supprimé les preuves qui ne soutenaient pas ses objectifs de recommander les interventions hormonales/chirurgicales au plus grand nombre]
Affirmations selon lesquelles l’examen considère la médecine de genre comme une norme plus élevée que les autres pratiques pédiatriques
« La très faible qualité des preuves en médecine du genre ne découle pas [comme l’affirment McNamara et al.] d'un manque d'essais contrôlés randomisés, mais d'une conception d'étude médiocre, de groupes de comparaison inappropriés, d'un taux d'attrition élevé et d'un suivi inadéquat. (...) »
En savoir plus sur cette critique de Cheung et al. → article de la Society for Evidence-based Gender Medicine, 22 octobre 2024. |
Comments