Parcours de transition des plus de 16 ans : l'HAS intègre les revendications des associations de militants trans
- Magali Pignard
- 15 déc. 2024
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 janv.
Le groupe de travail planchant sur les recommandations de bonnes pratique de la Haute Autorité de Santé recommande sans conditions la transition médicale (hormones sexuelles croisées à vie et chirurgie hormis la chirurgie génitale) à tout jeune de plus de 16 ans qui la souhaite sur la base d’un ressenti susceptible d’évoluer : un traitement médical avec des effets irréversibles impactant sa vie entière, présentant de nombreuses inconnues, non soutenu par les preuves existantes, avec des risques d’infertilité à l’âge adulte et des risques de dysfonctionnement sexuel. |

Le 12 décembre 2024, Le Figaro a publié le projet de recommandations de bonnes pratiques l’HAS concernant le parcours de transition des personnes trans 16 ans et plus, un document actuellement examiné par un comité de relecture : celui-ci peut faire des remarques avant que les recommandations définitives ne soient rendues publiques (au 1r semestre 2025). Sachant qu’à cette étape du processus, les recommandations ne peuvent être modifiées qu’à la marge.
Une approche très transaffirmative, à l'opposé du Cass Review (2024)
Concernant les mineurs, ces recommandations sont diamétralement opposées à celles du Cass Review, un examen indépendant des services de genre pour mineurs en Angleterre, qui s’appuie entre autres sur les revues systématiques les plus vastes et complètes à ce jour (les revues systématiques figurent au sommet de la hiérarchie des preuves).
De manière générale, le Cass Review souligne le « manque de bonnes preuves sur les résultats à long terme des interventions pour gérer la détresse liée au genre », et recommande une approche qui considère le jeune « de manière holistique et pas uniquement en termes de détresse liée au genre : dépistage des troubles neurodéveloppementaux, approches thérapeutiques psychologiques et psychopharmacologiques standard fondées sur des preuves, Possibilité de fournir des hormones sexuelles croisées à partir de 16 ans (…) mais avec une extrême prudence ».
Ces recommandations sont mises en œuvre par le gouvernement anglais de gauche.
En savoir plus : Que recommande le Cass Review ?
Alors pourquoi ce grand écart ?
Sans doute à cause de la composition du groupe de travail de ce projet, tenue secrète par l’HAS mais révélée par Le Figaro en juin 2023 : 30 personnes, dont 28 adhèrent très largement au mouvement transactiviste (une des 2 personnes en minorité ayant démissionné), soit 93 % du groupe. (Le nom de chaque membre et sa « déclaration publique d'intérêts » est disponible sur dpi.sante.gouv.fr et leurs noms sont regroupés dans ce pdf).
Étant donné la faiblesse des preuves dans ce domaine, la majorité des recommandations sont prises sur « accord d’expert » : ces recommandations ne reposent donc pas sur une base scientifique solide, mais plutôt sur l'accord d'un petit groupe d'individus qui ne représente pas la diversité des opinions et des recherches sur la transition de genre. Il n’est par ailleurs pas étonnant que ces recommandations soient la transposition des revendications de l’association Trans Santé France et d’Outrans étant donné que les 2 co-présidents du groupe sont co-présidents de Trans Santé France, et étant donné la présence de la directrice d’Outrans, les deux associations les plus importantes en France.
Que recommande l’HAS ?
Les recommandations de l'HAS sont similaires aux directives les plus extrêmes fondées sur les droits et centrées sur l’autodétermination et la satisfaction des besoins exprimés : à l’opposé des directives fondées sur les preuves, centrées sur la sécurité des personnes. (en savoir plus : Kozlowska et al. 2024, présentée ici).
Voici ce qui ressort des recommandations :
Les hormones sexuelles croisées sont recommandées car elles seraient bénéfiques pour la santé mentale
De manière générale, concernant les plus de 16 ans, le groupe de travail recommande les hormones sexuelles croisées « pour ceux qui les demandent après une information éclairée, car elles contribueraient à améliorer leur état psychique et leur qualité de vie ».
Concernant les mineurs, cette recommandation ne prend pas en compte les revues systématiques des preuves existantes qui concluent à une certitude faible concernant les résultats des hormones sexuelles croisées sur la santé mentale et la dysphorie de genre, ce qui signifie que « L'effet réel pourrait être très différent de l'effet estimé ».
Elle ne prend pas en compte l’appel à la prudence du Cass Review, des directives suédoise (2022), finlandaise (2020), et de la déclaration de l’ESCAP (2024 : European Society for Child and Adolescent Psychiatry) : cette dernière souligne que : « Les revues du NICE et d’autres revues indépendantes du Royaume-Uni, de Suède, de Finlande et plus récemment de l’Allemagne ont été systématiquement critiques vis-à-vis de la base de preuves actuelle. Les revues ont souligné que la recherche sur les avantages et les inconvénients des traitements de suppression gonadique et des hormones de l’autre sexe pour les enfants et les adolescents présente des lacunes conceptuelles et méthodologiques significatives, que les preuves des avantages de ces traitements sont très limitées, et que des études à long terme adéquates et significatives font défaut. (...) ESCAP appelle à ne pas promouvoir des traitements expérimentaux et inutilement invasifs ayant des effets psychosociaux non prouvés et, par conséquent, à adhérer au principe “primum-nil-nocere” ».
Ce principe ne semble pas connu des membres de ce groupe de travail.
En savoir plus : liste de revues systématiques chez les jeunes.
Aucune condition requise autre que le « consentement éclairé »
Aucune condition n’est requise pour l’accès à la médicalisation : « l’évaluation de la capacité à consentir et le repérage d’éventuels troubles psychiatriques peut être réalisé, mais cela ne doit pas retarder le délai pour la transition médicale. (...) Aucune psychothérapie n’est obligatoire. (...) Un accompagnement psychosocial de soutien peut être proposé aux personnes qui en font la demande, sans qu’il n’allonge le délai d’accès aux soins » ( « soins » : transition médicale ?).
L’HAS va donc plus loin que les « Standards de soins » de la WPATH (qui a manipulé les preuves et qui a obtenu un score de 35 % concernant la rigueur et le développement dans la revue systématique des directives internationales commandée par le Cass Review) :
concernant les adolescents, la WPATH recommande une « évaluation biopsychosociale complète » ; elle pose une condition sur l’accès à la transition médicale puisqu’elle recommande les hormones/chirurgies uniquement quand « L’expérience de diversité/incongruence de genre est marquée et soutenue dans le temps (...) Les problèmes de santé mentale de l’adolescent (le cas échéant) qui peuvent interférer avec la clarté du diagnostic ont été pris en compte».
elle indique par ailleurs qu’« il est essentiel de différencier l’incongruence de genre de certains troubles de santé mentale, comme les obsessions et les compulsions, les champs d’intérêt spécifiques des personnes autistes (...) ».
Incitation des parents à accepter la médicalisation sous peine de retrait de l'autorité parentale
La HAS recommande par ailleurs qu’« un soutien par un professionnel de santé mentale peut être nécessaire pour certaines personnes, centré sur la lutte contre les stéréotypes ».
Voici ce qui se trouve probablement en arrière plan :
Selon ce groupe de travail, les problèmes de santé mentale si souvent présents chez les personnes trans seraient liés au rejet familial/des aidants, aux environnements non affirmants (modèle du stress minoritaire).
C'est probablement sur la base de ce modèle et d'enquêtes en ligne sur des échantillons non représentatifs que le groupe de travail recommande « une attention particulière à l’évaluation du soutien familial et social (...) et des actions pour promouvoir et renforcer ce soutien comme l’orientation vers des associations » (de militants trans à n'en point douter).
Sur ce dernier point, l’HAS va également plus loin que la WPATH, puisqu’elle recommande « un signalement pouvant aller jusqu’à une délégation partielle d’autorité parentale voire dans une situation extrême une déchéance de l’autorité parentale ou une émancipation en cas de mise en danger par non-respect de son identité de genre ».
Alors bien sûr; un jeune qui s'identifie trans et dont le parent s'émerveille et répond à ses désirs, sera soulagé à court terme : mais un parent doit-il suivre tous les désirs du jeune ? Si une jeune fille qui rejette ses formes souhaite une lipposuccion, le parent doit-il la soutenir dans son désir ?
Avec cette recommandation, un parent questionnant le contexte d’apparition de cette identité trans risque donc un signalement (je pense que c'est malgré tout déjà le cas). Prenons l’exemple typique d’une jeune fille de 13 ans mal dans sa peau, qui en raison de son autisme ne se retrouve pas du tout parmi les jeunes filles de son âge. Elle est paniquée/dégoûtée par des changements corporels qu'elle ne peut pas contrôler, par l'apparition de ses règles. Rejetée à cause de ses difficultés d'interaction sociale, sa seule relation se limite aux réseaux sociaux, où elle visionne uniquement du contenu trans, des jeunes mettant en scène leur transition et expliquant combien cela a changé leur vie. Elle finit par se déclarer garçon à ses parents, persuadée que la transition médicale règlera tous ses problèmes. À l'âge de 16 ans, ses parents se voient donc contraints de répondre : « Oui, tu es un garçon, oui, je soutiens ton désir d’avoir de la testostérone et une mammectomie ».
Un consentement éclairé, vraiment ?
L’HAS estime que seul le consentement éclairé suffit pour accéder aux hormones et à la chirurgie. Mais comme l’a souligné le Cass Review, celui-ci est un défi. En effet, « Le clinicien doit d'abord décider quelles options de traitement sont appropriées/cliniquement indiquées, puis fournir les informations dont le patient a besoin pour prendre une décision éclairée sur les options proposées ».
« Ce devoir s'applique (...) également à toute alternative ou traitement raisonnable. Cela signifie qu'il ne suffirait pas de discuter des options endocriniennes, mais aussi d'autres options non endocriniennes, ainsi que des avantages et des inconvénients de retarder l'intervention endocrinienne ».
Ce que se garde bien de faire le groupe de travail.

Intervention cliniquement indiquée
Dans toute la recommandation, aucune indication clinique n’est nécessaire pour accéder à un traitement hormonal/chirurgical. Par exemple, aucun diagnostic de dysphorie de genre n’est nécessaire, et ce terme ne figure nulle part dans le document de travail. Un jeune qui est simplement non conforme aux attentes de la société par rapport à son sexe, ou « mécontent par rapport à son genre », peut obtenir des hormones sexuelles croisées s’il le souhaite et s'il est jugé apte à y consentir.
La dysphorie de genre peut se résoudre naturellement
Le Cass Review mentionne que « l'une des questions éthiques les plus difficiles est de savoir si et/ou quand l'intervention médicale est la réponse adaptée ».
Ce groupe de travail ne s’embarrasse pas de questions éthiques, puisque la transition médicale y est la seule option envisageable : cela présuppose a minima que les adolescents qui s’identifient transgenres deviendront des adultes qui s’identifient transgenres.
La science et les données actuelles sont insuffisantes pour étayer cette croyance : des études récentes sur la permanence de la dysphorie de genre/mécontentement de genre chez les jeunes montrent que celle-ci est temporaire pour un certain nombre d’entre eux (Sapir 2024, Bachmann 2024, Rawee 2024, décrits dans cet article).
Le Cass Review questionne également cette croyance : « En fonction de ce qui a causé sa détresse ou sa dysphorie, celle-ci peut être résolue par un traitement médical, mais elle peut aussi être résolue par d'autres manières. (...) La maturation d'une personne se poursuit jusqu'à la mi-vingtaine et pendant cette période, l'identité de genre peut continuer à évoluer (...) Pour ces raisons, de nombreux cliniciens consultés par la revue, tant au niveau national qu'international, ont déclaré qu'ils ne peuvent pas prédire de manière fiable quels enfants/jeunes réussiront leur transition et lesquels pourraient regretter ou faire marche arrière à une date ultérieure ».
Pourquoi aller si vite ?
Comme mentionné précédemment, il ressort de cette recommandation de l'HAS que la transition médicale ne doit être freinée sous aucun prétexte, sans tenir compte des circonstances individuelles. Cela peut inclure des situations où une personne pourrait confondre des symptômes de santé mentale, ou des caractéristiques de l’autisme, avec une véritable dysphorie de genre.
Le fait de ne pas prendre en compte cette possible confusion peut mener à des décisions de traitement inappropriées. C’est une des raisons pour laquelle des personnes détransitionnent et regrettent leur transition : parmi les raisons de détransition, une méta-synthèse qualitative (Exposito Campos et al. ,2024, #523) mentionne que « De nombreuses personnes ayant fait une transition pensaient que leurs raisons étaient légitimes et espéraient que cela apporterait des changements positifs dans leur vie. Cependant, elles pensent maintenant que leurs sentiments étaient influencés par d'autres problèmes et vulnérabilités qui ont été interprétés à l'époque comme des signes de dysphorie de genre ou de transidentité (...) Avec le recul, elles regrettent que personne ne les ait remises en question, aidées à clarifier leurs motivations et proposées des alternatives à la transition (...), car avec leurs connaissances actuelles et leurs expériences vécues, elles pensent maintenant que la transition n'était pas la meilleure décision (...). »
En savoir plus :
Communication des informations
Dans ce domaine, le consentement véritablement éclairé est difficilement possible étant donné la faiblesse des preuves concernant les interventions endocriniennes chez les jeunes : comme le souligne le Cass Review :
« En envisageant les interventions endocriniennes, le grand nombre d'inconnues concernant les risques/bénéfices pour chaque individu et le manque d'informations robustes pour les aider à prendre des décisions posent un problème majeur pour obtenir un consentement éclairé. (...) Les informations [sur les avantages et risques à long terme des interventions hormonales provenant de résultats d'autres personnes] ne sont actuellement pas disponibles pour les interventions chez les enfants et les jeunes (...), de sorte que les jeunes et leur famille doivent prendre des décisions sans avoir une image adéquate des impacts potentiels et des résultats (...) »
Conclusion
Faire du forcing sur la famille pour qu'elle se convainque que son enfant s’identifiant trans restera trans toute sa vie et que seule la transition médicale et un environnement affirmatif résoudront toutes ses difficultés, n'est pas aidant : sachant que l’aptitude des spécialistes à prédire l'avenir de ces jeunes est compromise par une pénurie de données de suivi à long terme.
L’option endocrinienne n’est pas soutenue par les preuves, et constitue la 1re ou 2e étape d’une vie de médicalisation entraînant des risques pour la santé à long terme (problèmes cardiovasculaires, risque augmenté de cancers, ostéoporose), provoquant des changements physiques irréversibles, ainsi que des risques de stérilité/infertilité et de dysfonction sexuelle.
Enfin, il serait sans doute plus opportun d'expliquer à ces jeunes que la non-conformité de genre fait partie de la diversité humaine et n'a pas besoin d'être corrigée médicalement.
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